Immatriculation des navires et questions d'immatriculation frauduleuse
L'immatriculation des navires
L'immatriculation d'un navire joue un rôle impératif dans la sécurité maritime et contribue de manière significative à la protection et à la préservation de l'environnement marin.
Le mécanisme général permettant d'établir la nationalité d'un navire et de réglementer la navigation est l'immatriculation du navire dans un État donné. En liant un navire à un État, le système d'immatriculation des navires indique que cet État a le droit de protéger le navire en droit international.
Le cadre juridique
L'un des principes fondamentaux du droit international public est la liberté de la haute mer, telle qu'énoncée à l'article 87 de la CNUDM. Pour concilier cette liberté avec la nécessité d'éviter les désordres et les abus, le droit international a établi un cadre pour la réglementation de la navigation. Ce cadre repose sur deux règles fondamentales :
- chaque État fixe les conditions d'octroi de sa nationalité aux navires, d'immatriculation des navires sur son territoire et du droit de battre son pavillon (article 91 de la CNUDM) ; et
- l'État doit exercer effectivement sa juridiction et son contrôle dans les domaines administratif, technique et social sur les navires battant son pavillon (article 94 de la CNUDM).
L'article 91, paragraphe 1, de la CNUDM reconnaît à chaque État le droit de "fixer les conditions d'octroi de la nationalité et du droit de battre son pavillon". Le même article dispose qu'il "doit exister un lien substantiel entre l'État et le navire". L'exigence de "lien substantiel" dans la CNUDM vise à garantir une mise en œuvre plus efficace des obligations de l'État du pavillon en vertu de l'article 94 de la CNUDM[1].
Il n'existe actuellement aucun cadre international contraignant pour réglementer le processus d'immatriculation lui-même. La convention des Nations unies de 1986 sur les conditions d'immatriculation des navires[2] établit des normes internationales pour l'immatriculation des navires dans un registre national, y compris des références au lien substantiel, à la propriété, à la gestion, à l'immatriculation, à la responsabilité et au rôle de l'État du pavillon. La Convention n'est toutefois pas entrée en vigueur[3].
Registre ouvert/registre fermé
Chaque pays établit ses propres lois et règlements en matière d'immatriculation des navires[4]. Certains pays n'enregistrent que les navires qui ont des liens avec le pays en termes de propriété ou d'équipage ("registres fermés"). D'autres pays autorisent les navires appartenant à des étrangers ou contrôlés par eux à utiliser leur pavillon dans le cadre d'un "registre ouvert", tandis que d'autres encore choisissent tout simplement de ne pas autoriser l'utilisation de leur pavillon pour le commerce international.
Étant donné que les registres ouverts sont désormais largement utilisés dans le monde, l'OMI s'est concentrée sur une approche stratégique visant à garantir que les États du pavillon assument correctement la juridiction et le contrôle des propriétaires de navires et des navires battant leur pavillon, conformément à l'article 94 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM).
Initiatives de l'OMI concernant le renforcement de la juridiction et du contrôle de l'État du pavillon et de l'État du port
L'OMI a adopté et mis en œuvre un certain nombre de mesures visant à soutenir et à renforcer la juridiction et le contrôle de l'État du pavillon (et de l'État du port). Il s'agit notamment des mesures suivantes
- le système d'audit des États membres de l'OMI
- le système de numéro d'identification des navires de l'OMI[5] et le système de numéro unique d'identification de la compagnie et du propriétaire enregistré de l'OMI[6]: ces deux systèmes ont été rendus obligatoires en vertu des règles XI-1/3 et XI-1/3-1 de la convention SOLAS, respectivement (lien vers la page web de l'OMI) ;
- dossier synoptique continu (CSR) : exigences en matière de sécurité;
- résolution visant à empêcher l'enregistrement de navires "fantômes"[7];
- procédure recommandée pour améliorer la transparence de l'état du navire à l'occasion du transfert de navires entre États du pavillon [8];
- Accord du Cap de 2012 et convention STCW-F : responsabilités de l'État du pavillon à l'égard des navires de pêche et des pêcheurs;
- collecte de données : le module Contrôle par l'État du port(CIP) dans GISIS vise à améliorer la transparence et la responsabilité en ce qui concerne les normes sur les navires et les bateaux de pêche ;
- les travaux du sous-comité sur la mise en œuvre des instruments de l'OMI (III) ; et
- Travaux de l'OMI/OIT sur les questions relatives aux gens de mer : base de données sur les navires abandonnés créée par le groupe de travail ad hoc mixte OIT/OIT d' experts sur la responsabilité et l'indemnisation en cas de décès, de lésions corporelles et d'abandon des gens de mer.
En juillet 2005, une réunion consultative ad hoc de hauts représentants d'organisations internationales sur le "lien substantiel" a mis en lumière les obligations imposées aux États du pavillon par la CNUDM[9]. La réunion a souligné la nécessité de renforcer la juridiction de l'État du pavillon et a mis en évidence l'amélioration subséquente de l'application par les États du pavillon de leurs obligations juridiques internationales grâce au travail de l'OMI.
Enregistrement frauduleux et registres frauduleux de navires
L'immatriculation frauduleuse et les pratiques illicites connexes comprennent l'immatriculation de navires à l'insu ou sans l'approbation de l'administration maritime nationale compétente. Ces immatriculations frauduleuses sont réalisées grâce à une combinaison de tactiques qui peuvent inclure les éléments suivants :
- L'immatriculation interrompue : lorsqu'un navire, anciennement autorisé à battre le pavillon d'un État donné, continue à battre ce pavillon après que son immatriculation auprès de l'État du pavillon a expiré ou a été interrompue d'une autre manière.
- Représentations frauduleuses auprès de l'OMI : soumission de documents frauduleux à l'OMI, à l'insu de l'autorité compétente de l'État du pavillon, afin d'obtenir des documents de l'OMI et des numéros d'identification de navire. Les sociétés d'enregistrement frauduleuses peuvent opérer avec des sites web d'apparence authentique et prétendre être les bureaux d'enregistrement officiels autorisés à accorder aux navires la nationalité de l'État concerné.
- Diffusion de données falsifiées du système d'identification automatique (AIS) : cette tactique implique la manipulation intentionnelle des données AIS afin de modifier matériellement les informations d'identification du navire ou de refléter les données AIS d'un navire entièrement différent.
Travaux de la commission juridique sur l'immatriculation frauduleuse des navires et l'exploitation frauduleuse des registres
Le problème de l'immatriculation frauduleuse des navires et de l'exploitation frauduleuse des registres a été soulevé pour la première fois à l'OMI par la République démocratique du Congo (RDC) en 2017 lors de la 104e session du comité juridique. La RDC a signalé qu'environ 73 navires avaient frauduleusement utilisé son pavillon et qu'une pêche illégale était pratiquée dans ses eaux, à son détriment économique.
L'immatriculation frauduleuse des navires empêche les registres légitimes d'exercer une juridiction et un contrôle effectifs sur les navires en mer, prive les registres légitimes de revenus légitimes tout en enrichissant injustement les acteurs frauduleux et porte un préjudice injustifié à la réputation des États lorsque les navires se livrent à des activités illicites sous le couvert d'une immatriculation frauduleuse. En outre, les navires enregistrés frauduleusement peuvent ne pas être conformes aux normes de sécurité et de protection de l'environnement, ce qui met en danger l'équipage des navires et constitue une menace accrue de dommages à l'environnement marin.
En 2018, le Comité juridique a reconnu la nécessité d'une approche sur plusieurs fronts et que la solution consisterait à mettre à la disposition des propriétaires de navires et des assureurs, ainsi que des fonctionnaires, des informations exactes sur l'état du registre d'une nation, de manière large, rapide et précise. Le Secrétariat a ensuite fait état de plusieurs cas liés à l'utilisation frauduleuse du pavillon d'un pays et/ou à l'exploitation frauduleuse d'un registre sans l'autorisation ou la connaissance du prétendu pays du pavillon. Ces cas concernaient, outre la RDC, les Etats fédérés de Micronésie, Fidji, les Maldives, Nauru, Samoa, la République-Unie de Tanzanie et Vanuatu[10]. [ 10]
Le Secrétariat a étudié les cas reçus faisant état d'une utilisation frauduleuse d'un pavillon ou d'un registre et a collaboré avec S&P Global Market Intelligence pour améliorer l'affichage dans le GISIS des informations relatives à un navire dont une administration a confirmé qu'il n'était pas légalement immatriculé sous le pavillon de cette administration[11].
La 109e session du Comité juridique a créé un groupe d'étude chargé d'entreprendre une étude approfondie de toutes les questions liées à l'immatriculation frauduleuse et aux registres frauduleux de navires, ainsi que des mesures possibles pour les prévenir et les combattre. Le rapport final du groupe d'étude sur l'immatriculation frauduleuse et les registres frauduleux de navires a été soumis à la 111e session du Comité juridique en avril 2024.
Lors de la 112ème session du Comité juridique en mars 2025, il a été décidé que les travaux commenceraient par l'élaboration de nouvelles lignes directrices ou de meilleures pratiques sur l'immatriculation des navires, l'objectif étant que ces travaux soient achevés en 2027.
Une proposition pour l'élaboration de ces lignes directrices a été présentée par un groupe de correspondance sur l'immatriculation frauduleuse et les registres frauduleux de navires. Ce groupe a identifié plusieurs facteurs susceptibles de contribuer à l'utilisation abusive des systèmes de numéros d'identification de l'OMI et des lacunes du système. Le rapport complet du groupe de correspondance figure dans le document LEG 112/6 qui peut être consulté sur IMODOCS.
L'élaboration de lignes directrices ou de meilleures pratiques pour l'immatriculation des navires sera bénéfique pour la sécurité, la protection de l'environnement marin et le bien-être des gens de mer et aidera les États du pavillon à gérer leur processus d'immatriculation, à identifier les documents falsifiés et à réduire le nombre d'immatriculations frauduleuses grâce à une diligence raisonnable cohérente.
Amélioration de la base de données des points de contact
À la suite de la 106e session du Comité juridique, en 2019, le Secrétariat a mis au point une nouvelle fonction dans le module "Points de contact" du GISIS, qui serait une base de données complète des registres des navires, où les informations pour tous les pavillons pourraient être disponibles en un seul endroit. Le comité a également convenu que l'OMI devrait collaborer avec le Conseil de sécurité des Nations unies pour établir une base de données facilement consultable, par numéro OMI et par nom de navire, des navires faisant actuellement l'objet de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ou désignés en vertu de ces résolutions.
L'OMI a également pris des mesures pour examiner minutieusement l'authenticité des demandes d'accès aux comptes web de l'OMI.
Résolution - Mesures visant à prévenir l'immatriculation frauduleuse et les registres frauduleux de navires
Afin d'établir des procédures encore plus solides pour la communication d'informations à l'OMI, l'Assemblée a adopté une résolution sur les mesures visant à empêcher l'immatriculation frauduleuse et les registres frauduleux de navires(A.1142(31)).
La résolution de l'Assemblée comprend une procédure de communication à l'OMI d'informations sur les registres des navires, y compris des informations sur le nom de l'organisme gouvernemental national et des entités autorisées ou déléguées chargées de l'immatriculation des navires. L'objectif est de permettre au secrétariat de l'OMI de vérifier les informations par les voies appropriées.
Meilleures pratiques recommandées
Le Comité a également approuvé une circulaire LEG sur les meilleures pratiques recommandées pour aider à lutter contre l'enregistrement frauduleux et les registres frauduleux(LEG.1/Circ.10).
Remarques :
- Selon le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) dans l'affaire de 1999, M/V Saiga (No. 2).
- (1987) 26 ILM 1229. https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XII-7&chapter=12&clang=_en
- La convention exige 40 signataires dont le tonnage combiné dépasse 25 % du total mondial. En mars 2020, quinze États avaient ratifié la Convention ou y avaient adhéré (Albanie, Bulgarie, Côte d'Ivoire, Égypte, Géorgie, Ghana, Haïti, Hongrie, Irak, Liberia, Libye, Mexique, Maroc, Oman et Syrie) et la Convention avait été signée, sous réserve de ratification, d'acceptation ou d'approbation, par neuf autres États (Algérie, Bolivie, Cameroun, République tchèque, Indonésie, Pologne, Fédération de Russie, Sénégal et Slovaquie).
- Voir Nigel P Ready, Nationalité, immatriculation et propriété des navires dans le Manuel de l'IMLI sur le droit maritime international : Volume II : Droit maritime.
- A.1078(28), Système de numéro d'identification des navires de l'OMI.
- MSC.160(78), Adoption du système de numéro unique d'identification de la compagnie et du propriétaire enregistré de l'OMI.
- A.923(22), Mesures visant à empêcher l'immatriculation de navires "fantômes".
- Voir MSC/Circ.1140-MEPC/Circ.424.
- Le rapport de la réunion a été transmis au Secrétaire général des Nations Unies conformément aux résolutions 59/24 et 59/25 de l'Assemblée générale des Nations Unies, puis soumis à l'Assemblée générale à sa 61ème session (A/61/160).
- Documents LEG 106/7 et LEG 106/7/Add.1 et lettres circulaires n° 3717, 3798, 3840 et 3855.
- Dans ce cas, un "faux drapeau" pour le navire en question est affiché dans le module sur les données du navire et de la compagnie dans GISIS. Ce statut changera lorsque le navire sera enregistré sous un nouveau pavillon.